Un enfant handicapé a davantage besoin de revenus que d’un capital, d’autant qu’il n’aura souvent pas d’héritier. Comment gérer ce cas spécifique ?
Les parents d’un enfant malade ou handicapé nécessitant une prise en charge lourde et coûteuse se posent en général de nombreuses questions relatives à son avenir. Qui s’occupera de lui le jour où ils ne seront plus là ? Comment subviendra-t-il à ses besoins ? Cela amène les parents à prendre des dispositions spécifiques à son intention.
« Il est toutefois essentiel de prendre en compte les intérêts de tous les membres de la famille », insiste Nicolas Cellières, spécialiste en planification patrimoniale chez Optivy. « Les parents – a fortiori quand ils ont un enfant handicapé qui monopolise beaucoup de temps et de moyens – ne doivent surtout pas se négliger ni se dépouiller, et penser également à leurs vieux jours ! »
Le transfert de patrimoine à un enfant handicapé n’est en outre pas forcément opportun. « Ce dont il a besoin en priorité, c’est de revenus », ajoute-t-il. Les parents d’un enfant handicapé ressentent généralement le besoin de le protéger, de lui assurer un avenir financier stable et pérenne, et de garantir une bonne gestion des actifs dont il disposera. Ils souhaitent également que les actifs retournent dans le giron familial si l’enfant décède sans descendance. « Pour rencontrer ces objectifs, l’un des principaux enjeux est de dissocier le patrimoine (alloué à l’enfant) de la gestion de ce patrimoine (que l’enfant handicapé n’est pas en mesure d’assurer lui-même)», précise Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés. Si votre enfant a un handicap physique et éprouve des difficultés à se déplacer, un mandat extrajudiciaire peut être une solution. La planification qui sera mise en place sera évidemment d’abord fonction de l’importance et de la nature de la fortune familiale. Mais elle devra également tenir compte des besoins financiers des parents, de l’existence et de la disponibilité de la fratrie, de la nature et du coût des soins à prodiguer à l’enfant, du fait qu’il est ou non en institution, ainsi que de son espérance de vie.
Quelles techniques de planification privilégier pour un enfant handicapé ? La loi autorise, dans une certaine limite, à léguer à un enfant davantage qu’aux autres. S’il s’agit d’un enfant unique, vous pouvez lui réserver l’intégralité de votre patrimoine. Si vous avez d’autres enfants, vous pourriez penser de prime abord à attribuer davantage à l’enfant handicapé (qui a en général besoin de plus que les autres), par donation ou par testament. Par exemple, en lui attribuant la quotité disponible, pour autant que vous respectiez la part réservataire de ses frères et sœurs. « Ce n’est cependant pas la meilleure option », souligne Nicolas Cellières. En effet, « ce dont l’enfant malade ou handicapé a besoin, c’est d’un revenu bien plus que d’un capital, car il n’aura en général aucun héritier. Il est donc bien plus judicieux d’attribuer à l’un de ses frères ou sœurs davantage que sa propre part, à charge pour lui/elle, de verser une rente à l’enfant handicapé ou de s’occuper de lui et de payer les frais », suggère le spécialiste en planification patrimoniale. « La réserve héréditaire due à un enfant n’est pas d’ordre public », précise Me Homans. « L’enfant handicapé peut donc s’en prévaloir ou non. Il est ainsi possible d’établir un testament offrant la possibilité à l’enfant handicapé (ou son représentant) d’opter pour le versement d’une rente par ses frères et sœurs, et pour la prise en charge par ceux-ci des frais divers, soit pour une part en capital correspondant au minimum à sa réserve héréditaire. Cela offre une certaine souplesse.
1. Le legs de residuo
Le legs de residuo peut également être envisagé ici. Vous souhaitez récompenser l’un de vos enfants (ou un tiers) qui s’est engagé à prendre soin, à votre décès, de l’enfant handicapé ?Le legs de residuo peut constituer une solution. Selon cette disposition testamentaire, des mêmes biens sont légués à plusieurs personnes successivement. Concrètement, dans le cas qui nous occupe, l’enfant handicapé est le premier bénéficiaire du legs. De son vivant, il peut disposer librement des biens qu’il a reçus (sauf les donner ni les léguer par testament à un tiers, etc.). Le solde, à son décès, reviendra au second légataire désigné dans le testament, généralement à titre des rétributions pour les soins prodigués. Bien que séduisante, cette solution ne permet généralement pas de rencontrer l’ensemble des objectifs des parents. « Certes, le legs de residuo permet de garantir que les biens demeurent dans le giron familial, mais -pris isolément- il n’offre aucune solution par rapport à la gestion des biens de l’enfant », souligne Me Grégory Homans. Comme une personne handicapée n’a en général pas de descendance et risque de décéder plus jeune, ce sont alors ses frères et sœurs qui héritent de son patrimoine. Le legs de residuo permet d’éviter que ces derniers paient des droits de succession en ligne collatérale (25 à 559/o). Le second héritier paie en effet le taux de droits de succession qui sont fonction de son degré de parenté avec le testateur. Le degré de parenté entre les premier et second héritiers n’a pas d’incidence.
2. La donation de residuo
La donation de residuo produit exactement le même effet que le legs de residuo. La différence, c’est que la donation intervient du vivant des parents et qu’elle doit toujours être établie par un acte notarié, alors qu’un legs de residuo peut être rédigé à la main. La donation est plus avantageuse fiscalement puisqu’elle est soumise à des droits de donation, alors que le legs est soumis à des droits des succession, toujours plus élevés. Le second donataire paie des droits de donation en fonction de son degré de parenté avec le donateur. Le degré de parenté entre les premier et second donataires n’a donc pas d’incidence.
La clause de retour conventionnel
Il peut être prudent de prévoir une clause de retour conventionnel. En vertu de ce mécanisme prévu par le code civil, en cas de prédécès du donataire, la donation retourne dans le patrimoine du donateur en exonération de droits de succession.
3. La création d’une fondation privée
« La fondation a évidemment un coût, mais c’est incontestablement l’outil qui organise le mieux la prise en charge de l’enfant handicapé tout en ménageant des moyens de contrôle accrus », note Nicolas Cellières.
-LE PRINCIPE :
Les parents créent une fondation privée dont l’une des vocations est d’assurer la prise en charge de l’enfant handicapé (assurer son train de vie, son bien-être, les soins et frais divers). Concrètement, ils attribuent à la fondation un patrimoine dont le bénéficiaire est l’enfant handicapé, mais dont la gestion est cadenassée. « En général, les parents logeront dans la fondation un actif productif de revenus. Typiquement, un immeuble de rapport dont les loyers mensuels permettront à la fondation de couvrir les besoins financiers spécifiques de l’enfant », explique Gregory Homans.
-PRÉCAUTION :
Constituer une fondation est un acte de dépouillement, rappelle l’avocat. Si le droit belge interdit ai fondateur et à l’administrateur d’une fondation d’en retirer un bénéfice, «il est toutefois possible de pallier cela de plusieurs manières. Par exemple, le fondateur pourrait n’apporter que la nue-propriété d’un bien à la fondation. En conservant l’usufruit, il pourra continuer à gérer les avoirs et à recueillir les revenus produits par les biens », détaille Me Homans.
-LA PROCÉDURE :
Outre le fondateur et son ou ses bénéficiaires, une fondation ne nécessite plus aujourd’hui qu’un seul administrateur (contre trois avant la réforme du code des sociétés), ce qui rend la formule encore plus attrayante. «Les parents sont en général les premiers administrateurs. Ils impliqueront rapidement une personne de confiance dans la gestion de la fondation, afin de permettre à cette personne qui est appelée à leur succéder dans leur mandat d’administrateur de bien comprendre la philosophie et le fonctionnement de la fondation. Cela rassure à la fois les fondateurs et leur successeur», note Grégory Homans.
-LE FONCTIONNEMENT :
L’administrateur est le représentant de la fondation. Il pourra (sur ordre du juge de paix) régler les dépenses de l’enfant pour la fondation, percevoir des revenus au nom de la fondation, conclure des contrats, aider à la recherche d’un logement adapté, etc. Sa mission peut être entièrement adaptée – dans les statuts de la fondation- à la situation spécifique de l’enfant.
-LA FISCALITÉ :
Lors de la constitution de la fondation, un droit d’apport (7% à Bruxelles et en Wallonie, 5,5% en Flandre) est dû, qu’il s’agisse de biens mobiliers ou immobiliers. Rien n’exclut cependant d’effectuer des apports ultérieurement. Il est donc possible de constituer une fondation avec un capital de départ assez limité, et donc à faible coût fiscal, et de l’alimenter ensuite par donations (enregistrées ou non, selon la nature des biens et la volonté des parties) ou par testaments si l’on veut disposer des biens de son vivant.
-FRAIS :
Pour la création d’une fondation nécessitant l’intervention d’un notaire, comptez 7.000 à 8.000 euros pour les frais de l’acte constitutif d’une fondation : frais de notaire, d’acte et de publication, etc. S’ajoutent également les coûts de gestion d’environ 1.000 euros par an (comptabilité et secrétariat juridique).
-LA DISSOLUTION :
Une fondation subsiste évidemment au décès de son fondateur, mais sera dissoute lorsqu’on aura constaté la réalisation ou la disparition des buts pour lesquels elle a été créée. Le solde éventuel pourra alors être libéré en faveur des autres descendants du fondateur.
4. La société simple
La société simple est une forme d’indivision structurée et organisée, résume G. Homans. Une formule plus souple que la fondation : sa création ne nécessite pas le recours à un notaire mais seulement quelques formalités administratives. La société simple n’a pas de personnalité juridique. Elle comprend des associés et des gérants. Le principe ? « Une société simple correctement utilisée permet de scinder la gestion d’un patrimoine de sa propriété économique : les parents donnent la majorité des parts de la société à l’enfant et en confient la gestion à des personnes ayant des capacités à cette fin », souligne l’avocat. « Habituellement, les parents sont les gérants et, automatiquement après leur décès, des personnes de confiance (frère, sœur ou ami), assumeront la gestion de la société. Il est possible d’aménager les statuts de la société simple pour rendre le gérant indéboulonnable », explique-t-il. «La société simple ne bénéficie pas d’une reconnaissance internationale, ce qui peut parfois se révéler compliqué », prévient G. Homans.
5. Le mandat extrajudiciaire
Si votre enfant a un handicap physique et éprouve des difficultés à se déplacer, un mandat extrajudiciaire peut être une solution. Cela lui permettra de donner des instructions pour la gestion de son patrimoine ou de son quotidien. C’est un outil qu’il est possible de modéliser à l’envi.
« On peut prévoir que l’un des parents (ou les deux) est mandataire général et on désigne un frère ou une sœur comme mandataire suppléant. Il prendra ainsi automatiquement le relais au décès des parents. Plus besoin de prévoir un nouveau mandat. Le mécanisme de cascade peut être prévu dès le départ », conclut Nicolas Cellières.
Source :
MON ARGENT – Muriel MICHEL – SEPTEMBRE 2021
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